A moitié scientifique et à moitié homme d’affaire, Craig Venter qui n’a pas très bon goût concernant les couvertures de ses livres essaie de mettre la main sur les données de plusieurs centaines de milliers à plusieurs millions de génomes (séquences totales ou profils génétiques). Mais que l’on se rassure c’est pour le bien de l’humanité ou au moins de la transhumanité !
Depuis 2005, les technologies de séquençage n’ont cessé d’être plus rapides et moins chères. En 2014, plus de 225.000 génomes humains étaient déjà séquencés grâce à plusieurs initiatives dont le fameux « 100 000 Genomes Project » britannique lancé en 2013. Début 2014 Illumina lançait une campagne de publicité mettant en scène le HiSeqX Ten, le premier séquenceur permettant d’atteindre la promesse d’un coût de séquençage humain à 1000 $. Cette année AstraZeneca annonçait sa collaboration avec le Human Longevity Institute de Craig Venter permettant à ce dernier un accès aux génomes ou profils génomiques de 2 000 000 de personnes d’ici 2020. En utilisant la seule séquence d’ADN, Venter dit que son entreprise peut maintenant prédire la taille, le poids, la couleur des yeux et la couleur des cheveux d’une personne, et produire une image approximative de son visage. Une grande partie de ces « détails » est dissimulé dans les variations rares, dit Venter, dont le propre génome a été mis à disposition dans les bases de données publiques depuis plus d’une décennie. Soit dit en passant, même ce promoteur d’un certain transhumanisme regrette son geste : « Si je devais conseiller un jeune Craig Venter », je dirais, réfléchissez bien avant que vous veniez déverser votre génome sur Internet« …
Quelques questions centrales demeurent et l’une d’elle consiste à envisager que le génome d’une personne n’est pas du ressort de sa seule propriété… en effet, rendre disponible son génome revient à rendre disponible une partie des informations de ces enfants et des enfants de ceux-ci etc. Effectivement, les promoteurs de la génomique à large échelle envisagent de dépasser les problématique de l’héritabilité cachée (à ce sujet, lire l’excellent article de Bertrand Jordan dans M/S : Le déclin de l’empire des GWAS). Voici un extrait très pertinent qui explicite ce problème : « Les identifications réalisées dans le cadre des études GWAS sont certes scientifiquement valables et utiles pour la compréhension du mécanisme pathogène (donc porteuses d’espoirs thérapeutiques), mais, rendant compte de moins d’un dixième des héritabilités constatées, elles passent visiblement à côté d’un phénomène important… Comment résoudre ce paradoxe ? Il faut pour cela revenir sur ce qu’examinent réellement les GWAS. Elles se limitent aux Snip, faisant (pour le moment du moins) l’impasse sur les copy number variations (CNV), ces délétions, duplications ou inversions dont on a découvert récemment plusieurs centaines de milliers dans notre génome. Et même pour les Snip, elles ne donnent pas une image complète des variations génétiques entre individus. Par la force des choses, les 500 000 Snip représentés sur les puces d’Affymetrix ou d’Illumina (et qui ont préalablement été étudiés par le consortium HapMap) correspondent à des poymorphismes assez facilement repérables dans un échantillon de population : la règle adoptée a été de ne retenir que les Snip pour lesquels la fréquence de l’allèle mineur est au moins égale à 5 %. Cet usage était nécessaire pour limiter les difficultés dans le positionnement des Snip lors de l’établissement des cartes d’haplotypes ; mais il a pour conséquences que les GWAS n’examinent que les variants fréquents… Selon une hypothèse largement répandue, les maladies multigéniques fréquentes (diabète, hypertension, schizophrénie…) seraient dues à la conjonction de plusieurs allèles eux aussi fréquents : c’est la règle « common disease, common variant » souvent évoquée depuis une dizaine d’années. Les résultats de la centaine d’études d’association pangénomiques pratiquées à ce jour indiquent que cette hypothèse est très probablement fausse : les variants communs ne rendant compte que d’une faible partie de l’héritabilité, le reste est vraisemblablement dû à des variants rares (ponctuels ou non) dont ces études ne tiennent pas compte puisque les puces utilisées ne les voient pas. »
Ainsi, pour franchir ce cap, une solution simple est envisagée : le changement de résolution avec pour credo le passage de profils génomiques (quelques millions de SNPs) à l’intégralité du génome… et après l’épigénome et en même temps le métagénome. Si ces sciences bâties sur une technologie en pleine révolution permettent l’accès à un patrimoine humain universel (l’information génomique quasi exhaustive), si ces sciences renouvellent sans cesse leurs promesses -il faut des fonds et donc convaincre les pouvoirs publics pour acheter la technologie américaine qui permet d’accomplir ces sciences- hypothéquer le patrimoine humain ou pire le privatiser pourrait être une erreur dramatique dont on a du mal à mesurer l’étendue des conséquences.
Ce qui suit pourrait être tiré d’un roman d’anticipation technofuturiste où le héros s’empêtre dans un polar aux implications géopolitiques. Après la mise en application de la politique de l’enfant unique, politique lancée en 1979 par Deng Xiaoping qui a eu la fâcheuse conséquence d’induire un déséquilibre entre les sexes (116 garçons pour 100 filles, 2005), la Chine, forte de sa population de presque 1 milliard 400 millions de ressortissants, cherche à appliquer les lois de la sélection génomique sur sa propre population. Le Q.I., phénotype relativement héritable (héritabilité supérieure à 0,5) est le deuxième caractère, après le sexe, « choisi » par les autorités. Cette article développe les différents éléments qui ont permis à la Chine de devenir le premier pays transhumaniste.
Acte 1 : une politique de reconquête
La Chine possède des ports en Europe, une partie significative de la dette américaine, des milliers d’hectares agricoles en Afrique et un parc de bombes atomiques qui ne laisserait pas insensible le docteur Folamour. Malgré un budget de millions de dollars alloué à une armée aux ordres du parti unique, l’usine du monde ne semble pas avoir de volonté expansionniste impérialiste en vue de repousser ses frontières (si on omet le sujet du Tibet). Il semble que les ambitions de la Chine actuelle résident moins dans le fait de mettre à la disposition de l’occident sa main-d’œuvre bon marché que de devenir la première puissance mondiale matérielle et intellectuelle. c’est pourquoi le pays mise toujours sur sa vraie matière première : l’humain. Devenue une puissance spatiale avec ses Taikonautes, la Chine envoie dans les meilleures universités du monde, ses étudiants qui, de retour (pour ceux qui reviennent), accomplissent une recherche de tout premier plan. Dans le champ de la génomique et des biotechnologies, la Chine s’impose aujourd’hui comme un acteur de tout premier plan.
Acte 2 : une recherche efficace
En effet, la Chine compte plus d’un cinquième de la population mondiale et compte aussi sur la volonté de fer pour retrouver son lustre d’antan. Il est alors, relativement aisé d’imaginer que même si une portion faible de sa population atteint les études supérieures, le pays sélectionne des étudiants qui deviendront des chercheurs motivés et ayant émergé des tous meilleurs étudiants d’une classe d’âge donné. Il est passé le temps où les meilleurs chercheurs chinois s’exilaient inconditionnellement aux Etats-Unis pour finir par être naturalisés – le classement académique des universités mondiales (aussi appelé classement de Shanghaï, ou encore « Academic Ranking of World Universities » en anglais) est un outil parfait pour identifier les meilleures universités où envoyer ses étudiants. La Chine devient même attractive sur la scène mondiale de la recherche scientifique et technologique. Selon un rapport de l’OCDE, le pays est deuxième pour la dépense en recherche et développement, injectant 136 milliards US$ en 2006 (USA : 330 milliards US$ pour la même période).
L’Empire du milieu oriente sa politique du développement technologique dans des domaines jugés comme hautement stratégiques: l’énergie, les ressources naturelles, l’environnement, les techniques de production industrielle et les technologies de l’information, les biotechnologies, les nanotechnologies, les technologies spatiales et maritimes. La Chine est en tête des pays en nombre de brevets déposés par année, ceci est l’aboutissement de trente ans durant lesquels le pays a misé sur la recherche scientifique pour rattraper son retard technologique sur l’Occident. Depuis le début des années 2000, le gouvernement promeut une innovation purement chinoise. Concernant le niveau des étudiants chinois, ceux-ci commencent à être l’objet de discriminations dans certaines universités américaines où ils occupent les meilleurs places. La recherche scientifique, basée sur une « exportation » massive d’étudiants a permis à la Chine de rattraper son retard technologique, cette technologie aujourd’hui sert une recherche scientifique de tout premier plan et sert, en ce qui concerne la biotechnologie, un dessein qui peut faire peur, vu d’ici.
Acte 3 : des moyens puissants
L’exemple qui vient à l’esprit immédiatement est le BGI (Beijing Genomics Institute). A ce sujet, vous pouvez lire notre précédent article : Taylor + Deng Xiao Ping + Watson = la Chine marche sur les chromosomes. Rappelons que le BGI est la plus grande plateforme génomique mondiale et un contributeur scientifique de tout premier ordre. Grâce à des plateformes de haute-technologie permettant de générer des volumes de séquences et de typages à de très bas coût, la Chine aurait la possibilité d’appliquer les résultats de sa recherche scientifique à l’échelle de sa vaste population.
Le BGI développe un laboratoire de génétique cognitive avec pour ambition de répondre à ces questions : Comment fonctionne le cerveau humain ? Comment les gènes affectent la capacité cognitive ? Comment les gènes et l’environnement interagissent pour produire l’intelligence et la personnalité humaine ? Le BGI a lancé un recrutement d’une cohorte de personnes volontaires aux Q.I. élevés. L’objectif est donc de rechercher les variations génétiques associées à des variations significatives au niveau du Q.I. (notons qu’une étude cas-témoin eut nécessité une cohorte de Q.I. bas à très bas… difficile de procéder à un recrutement volontaire !). Le Q.I. étant plutôt héritable, il sera donc techniquement possible de sélectionner les porteurs des variants « Q.I. élevé ». Ainsi il est possible de procéder à deux niveaux :
– orientation / optimisation « d’accouplements » : les porteurs de ces variations « Q.I. élevé », après s’être génotypés, auront tendance à rechercher un conjoint lui aussi porteur de ces mêmes variations afin de maximiser leur chance de procréer un enfant lui même porteur de ces variations (notons ici qu’il n’y a pas de réel progrès génétique, en tant que tel)
– passons par l’étape FIV : évitant de miser sur le hasard, les gamètes des deux futurs parents produiront plusieurs dizaines d’embryons, chaque œuf sera biopsié (une petite étape de phi29, un génotypage ciblé ou une sélection génomique sur la base de l’exploitation d’un génotypage pan-génomique à l’aide d’une cartographie basée sur plusieurs millions de marqueurs SNPs humains). Fort de la connaissance du « Q.I. estimé » de ces dizaines d’œufs… il ne restera qu’à « contrecarrer » l’aléa de méiose et de ne ré-implanter que ceux présentant le meilleur score de Q.I. estimé…
La sélection humaine pose bien évidemment des problème de bioéthique. Si l’occident sélectionne d’ores et déjà des êtres humains dans le but de limiter les enfants nés porteurs de tares génétiques majeures, l’Empire du milieu semble parti sur une autre voie (même si cette voie n’empêche pas l’autre) : améliorer significativement le Q.I. de sa population et ainsi basculer dans l’ère de la transhumanisation (selon ce mouvement intellectuel, l’Homme doit prendre en main sa propre évolution).
Après le Q.I., le grand jeu du moment consiste à deviner quel sera le phénotype de choix (la docilité ?, le courage ?), il faut espérer que l’on attendra quelques décennies avant d’envisager le premier humain OGM… Envisageant cela, on caricature la démarche actuelle chinoise et on s’imagine, un peu, à la place de Charlton Heston à la fin de Soleil Vert (film de Richard Fleischer, sorti en 1973) quand il découvre la matière première constitutive de l’aliment qui nourrit une planète devenue stérile.
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