Baseline : cohorte 2.0
Un slogan, une baseline : « nous avons cartographié le monde, maintenant cartographions la santé humaine » annonce la volonté de Google de persévérer dans le domaine de la santé humaine. C’est ainsi qu’Alphabet le conglomérat appartenant à et détenant Google tout à la fois, propose de constituer une cohorte humaine phénotypiquement caractérisée le plus finement possible : Verily (anciennement Google Life Sciences) une filiale d’Alphabet spécialisée dans la santé, a annoncé mercredi 19 avril qu’elle souhaitait recruter 10 000 volontaires pour son projet Baseline, annoncé en 2014 et déjà testé sur une centaine de volontaires. S’adjoignant des chercheurs du monde académique avec la participation de l’université de Duke (Caroline du Nord) et de l’université Stanford, Google vise à collecter des données de santé très précises sur ces personnes pendant plusieurs années. Assurément le nombre de personnes visées est pour l’instant moindre que la célèbre cohorte Nurses’ Health Study débutée en 1976 et dénombrant 280.000 participants, l’innovation consiste en la qualité des données collectées par l’intermédiaire de capteurs connectés. Les études épidémiologiques faisant intervenir des cohortes ne sont certes pas nouvelles, elles sont un outil formidable, grandes pourvoyeuses de résultats scientifiques valorisables (la célèbre cohorte de Framingham enregistre plusieurs centaines de publications). Dans le cas précis du projet Baseline, ce qui est nouveau est la promotion de ce type d’approche par et pour aussi un peu, une entité privée. Google, enfin Alphabet, peu importe finalement, est un conglomérat qui possède notamment la société de biotechnologie Calico, et qui a des liens capitalistiques avec 23andMe et possède donc encore Verily dont certains projets consistent en :
- des lentilles de contact permettant de contrôler le niveau de glucose chez les personnes diabétiques
- des cuillères pour les personnes ayant des tremblements, par exemple atteintes de la maladie de Parkinson (projet Liftware)
- une plateforme permettant la détection de maladie par l’intermédiaire de nanoparticules
- un bracelet connecté permettant de suivre des paramètres liés à la santé
Certains de ces objets connectés auront une exposition majeure du fait de leur positionnement central dans la cohorte de Baseline. Ainsi une montre, au design contestable, complétera la panoplie de capteurs associée au projet. Le fameux capteur d’activités nocturnes qui se faufile jusque sous la couette peut laisser perplexe… Ces objets connectés, pourvoyeurs de données, de beaucoup de données, nécessiteront les méthodologies que Google s’attache à développer pour traiter de façon automatisée et optimale la manne visée par la cohorte Baseline ! En outre, ces objets trouveront un écho, à n’en pas douter, auprès de futurs consommateurs bien au-delà des personnes constituant la cohorte initiale. En effet, les modèles établis sur les personnes, population référente constitutive de la cohorte (pour lesquelles sont à disposition l’intégralité des données phénotypiques) pourront être appliqués à de futures personnes dotées de la batterie de capteurs mais n’ayant pour autant pas été caractérisées finement. La cohorte servirait à établir un modèle, modèle qui serait appliqué à de futurs utilisateurs des solutions connectées proposées par Google. Ainsi des prédictions de l’état de santé et pourquoi pas la mise en place d’un système d’alerte… pouvant aller jusqu’à signifier la nécessité de consulter pourraient trouver une application commerciale.
L’objectif qu’Alphabet revendique est de cartographier la santé humaine, cet objectif passe par la création d’une immense base de données avec la santé pour finalité, permettant, grâce aux nouvelles technologies, d’«explorer la santé en profondeur». Après anonymisation comme garantie de sécurité des données, cette base de données est destinée à être transmise à des chercheurs. Pour recruter ses volontaires et les inciter à rejoindre le projet (la stratégie de recrutement peut laisser entrevoir d’ailleurs quelques biais de recrutement), Verily assure qu’il s’agit d’une manière « de participer à la création de cette carte de la santé humaine, et de laisser durablement une trace», en contribuant à son échelle à la recherche médicale. Ces futurs participants pourront partager leurs données avec leur médecin. Verily cherche des personnes nord-américaines, en bonne santé qui seront suivies et invitées à subir, pendant deux jours, chaque année, une batterie de tests médicaux. Ces bilans médicaux accompagnés des données des bio-capteurs dont ils seront dotés seront agrégés sous forme de « Big Data », matière première dont Google et ses méthodologies sont devenus experts…
Plusieurs questions peuvent être soulevées :
- est ce que Google, entreprise commerciale, finira par monétiser ces données comme matière première à une recherche scientifique ?
- est ce que la stratégie de Google ne serait pas multiple : (i) faire la promotion de ces outils d’analyses sur une matière première (dont Google serait propriétaire) tout en (ii) faisant la promotion de ces objets connectés, surfant sur un marché de la e-santé, marché en pleine expansion, tout en (iii) rentabilisant son investissement pour « partager » ses données recrutées moyennant des contreparties soumises au secret ?
Par le passé, Google Health est – était- un service Internet d’archivage de dossiers médicaux pour les internautes américains, mis en place par Google en mars 2008. L’avantage reste celui de laisser le pouvoir aux pharmaciens américains de mettre à jour automatiquement les traitements ou encore de trouver un spécialiste pour traiter des maladies adaptées. Google fermera ce service le 1er janvier 2012, faute d’un nombre insuffisant d’utilisateurs. La volonté de Google de développer une offre trouvant des applications en santé, médecine de précision, auxiliaire personnel de santé n’est donc pas nouvelle. Aujourd’hui, dans un contexte américain où les fonds publics alloués à la recherche médicale se tarissent (lire l’article de Nature sur la coupe budgétaire sans précédents de Donald Trump), le temps des partenariats public/privé est peut être venu. Dans ce contexte, même si la démarche de Google est nappée de marketing, des projets tels que Baseline pourraient être favorablement accueillis par la communauté scientifique.
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