Depuis une petite dizaine d’années, une partie du monde de la recherche s’indigne souvent en silence contre un outil de mesure : les principes de l’évaluation scientifique.

Le pouvoir politique français garant du bon usage des fonds publics alloués à la recherche a calqué son appareil de mesure sur ce qui a déjà cours dans le monde anglo-saxon (l’AERES s’est inspiré notamment de l’ERIH, l’European Reference Index for the Humanities). Ainsi, ont fleuri un grand nombre de facteurs dont l’objectif est d’objectiver l’impact d’une recherche sur une société qui la finance ou plutôt d’évaluer la diffusion d’une innovation, d’une découverte (et non son impact réel sur la société).

Ci-dessous un exemple des items tirés de la « fiche de données bibliométriques »  qu’un chercheur remplit en vue de satisfaire aux exigences lui permettant de voir sa carrière progresser (dossiers de contractualisation de la vague C, CNRS):

– Nombre d’articles réf Web of Science sur 2004-2007

– Nombre total d’articles réf. Web of Science, Npa

– Nombre total de citations Nc,totb

– Nombre total de citations hors autocitations

– Nombre de citations par articles Nc,tot/Npd

– Facteur h

– Facteur h relatif, h/Npf

– Facteur d’impact max. de la discipline

– Facteur d’impact moyen de la discipline

– Facteur d’impact max. pour le chercheur

– Facteur d’impact moyen pour le chercheur

Pour paraphraser un chercheur imminent, Pierre Bourdieu, parmi les bons élèves d’une classe il y a ceux qui ont compris comment les notes sont décernées et ceux qui ont compris…

Cet outil de mesure certainement nécessaire peut apparaître comme critiquable à plusieurs titres :

–          l’instrument de mesure peut modifier la variable qu’il tente de mesurer (ainsi des pratiques telles que le « name-droping » des auteurs associés à une publication, les citations de convenances etc.)

–          l’évaluation telle qu’elle est menée engendre des modes à l’instar de ce que relate la nouvelle de Léo Szilard, La fondation Mark Gable. Léo Szilard s’amusait des solutions qui engendreraient un retard du progrès scientifique… le présent peut par certains égards supplanter son ironie.

–          ce type d’évaluation basée sur la bibliométrie engendre que « l’objectif principal des scientifiques n’est plus de faire des découvertes mais de publier autant que possible», de sorte que « l’utilité, la qualité et l’objectivité des articles se sont dégradées », c’est ce que de manière synthétique l’article du Monde Diplomatique, (comment devenir le chercheur du mois) tend à démontrer.

Par dessus tout, l’évaluation induit la mise en concurrence systématique de tous contre tous.  Cette conscience même de la mise en concurrence entre équipes travaillant sur une même thématique incite ces mêmes équipes à attirer vers elles les fonds alloués à la recherche pendant que d’autres tentent de justifier leur propre existence… autant d’énergie qui n’est pas consacrée à la recherche en tant que telle : beaucoup de temps pour remplir des formulaires, beaucoup de temps pour communiquer, de moins en moins de temps pour réfléchir, développer et réaliser le travail de fond…

En définitive, le bon élève assimile et critique le système mais peut rapidement finir par exploiter les vices de l’outil de mesure : la notation. Ayant compris, il se plie aux exigences des critères de la recherche d’excellence… il remplit des formulaires, cherche comment il peut financer sa recherche, en n’oubliant pas les mots clés attendus. Pour prétendre à ces financements, il lui faudra justifier d’une certaine visibilité donc publier autant que possible… la publication devient l’alpha et l’oméga du chercheur… Ceci ayant pour effet, la dilution de l’information… et donc une perte de temps à rechercher l’information réellement pertinente.

Le constat peut paraître sans nuances mais il convient de l’inscrire dans une évolution du monde où la justification prend le pas sur la réflexion et l’action. Même s’il apparaît nécessaire d’évaluer ce que deviennent les fonds publics, il semble qu’un mauvais outil de mesure peut pervertir tout un système. C’est ainsi que l’on se gargarise à l’envi des terminologies novlangues où « l’excellence » remplace la science.

 

« Evaluer tue » – logo retravaillé de : http://forumpsy.wordpress.com/

 

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c.audebert

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